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[Un français] Marc-Edouard Nabe

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Il y a encore deux semaines, je n'avais qu'une vague idée de Marc-Edouard Nabe. Quelque connexion se faisait, loin dans mon esprit, avec les mots "écrivain" et "infréquentable". En entendant son nom, je pensais Soral, voire Dantec et m'imaginais un sympathisant FN interdit de télévision dont les livres n'auraient été qu'un ramassis de dégueulis, quelque chose comme ça. Et puis j'ai lu Emmanuel Carrère et me suis pris d'admiration pour Edouard Limonov. Par ce biais, j'ai découvert l'existence de "L'idiot International", le journal animé par Jean-Edern Hallier, à la fin des années 80 et auquel avaient participé Limonov et entre autres provocateurs et fascistes, Nabe. Une brève recherche Google et la couverture du dernier roman de Nabe m'apparut dans toute sa morgue, et moi de me retrouver achoppé.

Lorsque ma curiosité littéraire se voit titillée, je n'attends guère avant de franchir le Rubicon et de me procurer un livre de l'auteur en question. Or Nabe n'est plus vraiment édité ou distribué. Dégoter un de ses ouvrages ne se fait pas d'un coup de FNAC, ça serait trop simple. Trop impatient pour commander sur son site internet (il s'anti-édite depuis quelques années, et ainsi libéré du joug et du bon-vouloir des éditeurs, se met au passage une bien plus grande part du prix de vente dans les poches) et peu désireux d'acheter un livre sans l'avoir au préalable tenu dans mes mains, je dus alors me rabattre sur d'autres moyens de satisfaire ma pressante envie. C'est bien là ma veine : Nabe n'est pas qu'un écrivain (ou plutôt si, il est un véritable écrivain), c'est un personnage, un personnage public. Pré-datant Internet et les blogs, il s'est envisagé comme tel dès ses débuts littéraires, au milieu des années 80, à travers la publication de son journal intime et ses apparitions médiatiques, dont la plupart sont visibles sur le web. J'ai commencé par là.

 

Sa toute première télé, chez Pivot dans un numéro d'Apostrophes, en 85, m'a tout bonnement scotché. Invité pour présenter (défendre) son premier livre, "Au régal des vermines", un pamphlet visiblement haineux (je ne l'ai pas lu, pas encore) face à l'establishment représenté notamment par Morgan Sportes et Jean-Marc Roberts, ce petit con arrogant de 25 ans, "gréco-turc-rital" d'origine, ponctuant sa très claire et très vive diction de relents d'accent marseillais, sapé comme un intellectuel des années 40, avec ses très grandes lunettes et son regard perçant, invectivant avec mépris à tout va, amoureux de Jazz (il est d'ailleurs le fils de Marcel Zannini) et de Louis-Ferdinand Céline, ce petit con-là, insupportable, provoquant, agressif, et qui choqua tant et si bien les spectateurs que Georges-Marc Benamou grimpa dans sa voiture et gagna le studio au moment du cocktail, après l'émission, pour rouer Nabe de coups de poings, ce petit con que l'on n'imaginerait pas une seconde apparaître sur nos écrans aujourd'hui m'a ébloui, inspiré, passionné. Admiratif, j'ai tout regardé. Son second passage dans l'émission, trois ans plus tard, toujours aussi virulent, méprisant, mais avec quelque chose de moins déchaîné. Son retour, dix ans de bannissement médiatique plus tard, à la télévision, lessivé, à la sortie de "Je suis mort", un livre sur le suicide, et ses passages récurrents chez Thierry Ardisson, l'un des rares animateurs à l'inviter et à ne pas le traiter en pestiféré (c'est là le nœud de l’ambiguïté d'Ardisson, capable de défendre fut un temps des Nabe et des Dieudonné et d'inviter sur le même plateau des BHL et des Shirel pour les traiter de diablotins, mais on ne va pas refaire ici le match qu'Ardisson a paumé contre les hautes sphères de la télévision). Chacune de ses apparitions le montrant moins provocateur et plus adulte, moins jeune et plus militant. C'est ainsi une chronologie, une histoire, toute l'histoire de Nabe, le médiatique, que l'on peut retracer en naviguant de Youtube à Dailymotion en passant par l'INA.


Lui qui avait traversé dix ans avant Dieudonné le même genre de mise au pilori médiatique vis à vis de ses propos supposés antisémites, s'était régulièrement auto-exilé au Moyen-Orient, en Grèce, au Liban... et d'écrivain engagé dans la lutte contre les bien-pensants, ses interventions télévisées le montrent évoluer vers un idéaliste de la géopolitique mondiale, et une sorte d'expert des relations entre le Moyen-Orient et l'Occidental moribond. Lorsque les deux tours s'effondrent en 2001, il publie le premier ses opinions sur l'évènement (quelques jours après l'attaque) et les guerres d'Afghanistan et d'Irak subséquentes le confortent dans son anti-américanisme réfléchi et le poussent à expliquer (et non pas cautionner) les raisons du 11 Septembre, refusant le concept du Choc des Civilisations et refusant de diaboliser Ben Laden. On l'invite alors beaucoup plus sur les plateaux télévisés, chez Durand, chez Giesbert et chez Taddeï, notamment, où il ne fait pas que présenter ses livres, mais s'impose comme un interlocuteur avisé et hors norme en matière de politique internationale. Jusqu'à une confrontation avec Bernard Kouchner, à laquelle prend d'ailleurs part Morgan Sportes, sur le thème de l'Iran et de son désir de bombe atomique, où on le voit prendre une stature d'homme que l'on écoute, que Kouchner respecte, tandis que ce dernier invective le sanguin Sportes et lui assène un "Monsieur je ne sais pas qui vous êtes" terminal. 20 ans plus tard, les rôles sont inversés. Mais Nabe, s'il est plus régulièrement médiatisé, conserve l'infatigable réputation d'être raciste, de n'aimer personne, et surtout, ô grands dieux, d'être antisémite.

Antisémite, c'est à dire impardonnable. Impardonnable comme ses héros. Bloy, Céline ou Rebatet. Antisémite, il ne l'est pas, a longtemps été obligé de le répéter et lui qui aime tant provoquer, qui aime tant dire la vérité, celle qui ne plait pas, je ne vois pas de raison de le traiter de menteur sur ce sujet-là. D'ailleurs, au fil de ses prestations télévisuelles, on comprend bien que son mépris est à l'encontre de la civilisation occidentale décadente toute entière, et pas seulement tourné vers une communauté en particulier. Nabe est un homme qui veut un monde meilleur et c'est pour ça qu'il plaide pour que l'on réalise pourquoi Ben Laden a envoyé ses avions, pour que l'on accepte l'idée de laisser l'Iran obtenir la bombe, et pour que l'on accepte de condamner Israël pour ses méfaits, comme n'importe quel autre pays. Antisioniste ? Même pas, à vrai dire. Il aime Israël, le pays, l'endroit, il l'a fréquenté. Comme quiconque ne plie pas face aux règles du bien-pensé qui régissent notre beau monde, Nabe a cependant parlé d'Israël, parlé des juifs, et parfois en des mots très durs. Il n'a pas pu, je crois, s'attendre à autre chose que d'être taxé d'antisémite. Le plus amusant, c'est de voir cette émission, sur France 3, en 1999, où Dieudonné, bien avant ses propres déboires, se voit remué, choqué peut-être même par cet écrivain grande-gueule énervé et opposé une fois de plus au tenace Gerard Miller (l'une des Némésis télévisuelles de Nabe, avec Christine Angot, notamment).

Une fois les passages télé vus et revus, il m'en a fallu davantage et le site web des lecteurs de Nabe de prendre le relais puisqu'on y trouve les huit tracts publiés gratuitement et distribués volontairement par les amis de Nabe entre 2006 et 2008 et qui taclent ou célèbrent les grands évènements publics qui ont marqué ces années-là : l'élection hypocrite d'Obama, le prix Goncourt dévastateur de Littell, le coup-de-boule terroriste salvateur de Zidane, et autres sujets pris par l'autre bout, celui que l'on n'entend pas pointer à la télévision, à la radio ou dans les journaux. Un régal de vérité. Pas forcément bonne à entendre, dure, méchante, cynique, mais la vérité malgré tout. Et qui m'a rendu tellement avide que je suis retourné sur le site web de Nabe, où l'on peut commander ses livres, pour me procurer "L'homme qui arrêta d'écrire", son avant-dernier livre (2010), celui qui lui amena, enfin, une reconnaissance publique, en même temps qu'un certain succès commercial (et l'anti-édition ayant commencé avec ce livre, quelle aubaine et quelle vista !) et même presque un succès d'estime, puisque le livre faillit remporter le Prix Renaudot (finalement attribué à Virginie Despentes, sic). Ce roman de presque 700 pages m'attirait davantage que "L'enculé", parce que l'affaire DSK (la trame de "L'enculé") ne m'intéresse pas. Je me suis alors aperçu qu'outre les commandes via internet, certains des livres de Nabe étaient disponibles dans des points de vente inhabituels, des cafés, une boucherie... Or l'un de ces lieux de transmission s'avère être un commerce situé dans le même bâtiment que mon propre logement. Je vous laisse donc méditer sur le personnage de Nabe, lire ses tracts, écouter ses interventions et vous faire votre opinion. Pour ma part, je vais descendre l'escalier de mon immeuble, entrer dans un café et, pour satisfaire un désir, un besoin, un manque, me payer un roman de Marc-Edouard Nabe.

Joe Gonzalez

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